Aujourd’hui le Monde-Arabe par Tarek Daher

Aujourd’hui le Monde-Arabe par Tarek Daher

On pourrait humilier des peuples pendant des décennies, on pourrait par le biais de la force, par le biais d’un pouvoir autoritaire, asservir toute une population, mais n’oublions jamais que ce sont ces peuples qui donnent le pouvoir, personne d’autre. Mais, à ces pouvoirs, on ajoute l’appui inconditionnel des pays qui se disent démocratiques, il devient dès lors, encore plus difficile de se débarrasser de ce joug totalitaire, et dictatorial.

En décembre 2010 un évènement d’une ampleur inédite, une secousse qui a pris de court des autocrates au pouvoir depuis des décennies… Il y a dix ans commençait le «Printemps arabe». Ce mouvement de révolte a embrasé une partie du Maghreb et du Moyen-Orient. De la Tunisie au Bahreïn, des millions de personnes ont bravé l’interdit, souvent au péril de leurs vies, avec une principale revendication : celle de pouvoir bénéficier d’élections libres, d’une vraie démocratie et du droit de choisir leur gouvernement. Ce mouvement de protestation dans les pays arabes qui a vu le jour et a pris très vite de l’ampleur, ce mouvement s’est très vite intensifié, le monde arabe, et occidental avait les yeux braqués sur ces populations qui se sont soulevées.

Les dirigeants de certains pays arabes ont été pris au dépourvu, ne réalisant pas au début l’ampleur de ces protestations. Ces dirigeants ont essayé de faire face à ce mouvement de contestation et pendant quelques jours la population y a cru, pendant quelques jours les dirigeants arabes ainsi que l’Occident ont pensé que cette contestation allait arriver à déboulonner leurs régimes corrompus qui dirigeaient ces pays d’une main de fer sans tenir compte d’aucune façon les principes fondamentaux des droits de l’homme.

Les médias occidentaux eux-mêmes n’ont pas vu venir ce mouvement de rébellion, ils se sont empressés de lancer leurs reporters sur les lieux de cette révolution afin de couvrir au plus large ces évènements et de leur donner une ampleur médiatique jamais atteinte. Tous les réseaux sociaux nationaux et internationaux ont été mis à contribution afin de colporter, transporter toutes les informations et surtout de montrer toutes les images susceptibles d’aider à ce «printemps arabe».

Pourtant cette révolution qui a vu naître le jour, s’est éteinte soudainement. De la Tunisie, en passant par l’Égypte, la Libye, la Syrie, le Yémen, ce «printemps arabe» a disparu et a été remplacé soient par des guerres ou alors par des régimes encore plus autoritaires que les précédents.

En 2011, le «Printemps arabe» se voulait porteur d’un espoir de liberté pour le monde arabo-musulman, celui-ci n’ayant débouché que sur une seule transition démocratique qui, bien que fragile, perdure très difficilement à ce jour : celle de la Tunisie.

En 2012, l’Égypte avait élu son premier président par la voie des urnes, Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans, mais un coup d’État opéré par le maréchal Sissi en 2013 et reconnu par l’ensemble des pays principalement les Occidentaux a replongé le pays dans un régime autoritaire.

Le 20 octobre 2011, date de l’assassinat pur et simple du colonel Kadhafi, la Libye est déchirée entre des factions rivales, qui malgré les tentatives de paix, semblent irréconciliables. Aujourd’hui le pays est ravagé, les populations divisées; la Libye aujourd’hui, est en faillite totale tant économiquement que socialement.

Depuis 2011, la Syrie de Bachar el-Assad, est toujours malmenée dans ses problèmes soi-disant internes, malgré cela, Assad est toujours au pouvoir à Damas. Son pays, brisé, est aujourd’hui un champ de ruines. La jeunesse du printemps arabe est remplacée par une horde de fous furieux venus de par le monde pour soi-disant combattre le régime syrien. En aucun cas, il ne faudrait dénigrer ces mouvements qui ont vu le jour en Libye ou en Syrie. Mais, reconnaissons aussi que les résultats aujourd’hui ne correspondent absolument pas aux objectifs de départ.

Quant au Yémen, un gouvernement de transition a été mis en place avec l’appui de l’Arabie Saoudite. Cette transition n’a pas pu concrétiser elle aussi, les objectifs fixés, et a débouché en 2015 à une guerre fratricide ou l’Arabie Saoudite est partie prenante au conflit avec les Émirats arabes unis, et supportée par les autres pays du golfe.

Le Liban depuis des décennies se démène d’une guerre à une autre, de la guerre civile à la guerre avec son ennemi de toujours. Aujourd’hui une nouvelle guerre lui est imposée, une guerre économique impitoyable pour le faire agenouillé et l’amener à rétablir des liens diplomatiques et économiques avec son voisin honni.

Seuls les pays ayant accepté de signer un traité de paix avec Israël ont été soutenus dans leur politique, mais à quel prix. Une grande partie des pays du golfe ont accepté de faire la paix avec Israël, et pourtant n’ont jamais été en guerre vraiment. Ces pays du golfe vivent aujourd’hui dans l’opulence sans se soucier du reste du monde arabe. Ces pays du golfe jouent un rôle prépondérant à mettre en place la politique étrangère occidentale dans ce coin du monde, une façon pour eux de conserver leurs monarchies sans être inquiétées par un soulèvement populaire. Il faudrait donc comprendre que pour avoir la paix, il y a une obligation de signer cet accord de paix avec Israël sinon on appliquera comme l’a bien dit l’ancienne secrétaire d’État américaine Condolezza Rice : « We are working for the new Middle East ». Mais un Moyen-Orient modèle tel que l’Occident en général et les É.-U., en particulier, le veulent, ne tenant en aucun cas compte des aspirations populaires.

C’est pourquoi ce «printemps arabe» a fini de la sorte. C’est pourquoi les dirigeants de ces pays arabes ainsi que les Occidentaux, hier comme aujourd’hui n’ont toujours « compris ». N’ont toujours pas voulu comprendre, ni admettre que ces peuples ont soif de liberté, et qu’ils ne désirent qu’une chose, c’est de vivre dans la dignité.

Des questions se doivent d’être posées, elles se doivent d’être soulevées afin de comprendre, comprendre la raison pour laquelle ce «printemps arabe» a été étouffé dans l’œuf.

Dès lors, pourquoi ces régimes totalitaires ont été et sont toujours portés très haut par l’Occident en général et par certains si pas tous les pays du golfe en particulier ? Quelles sont les raisons pour lesquelles cette région est dans un tel délabrement politique et économique pourtant si riche en ressources naturelles, et possède les ressources humaines adéquates. Qu’est-ce qui fait que rares sont les mouvements de contestation qui sont arrivés ou pourront arriver à changer les pouvoirs en place ?

Le délabrement politique et économique dans ce monde-là est aussi lié aux politiques des pays occidentaux. Mais faudrait-il pour autant accuser de tous les maux ces pays qui dans l’absolu ne recherchent qu’une chose : leurs propres intérêts ?

Il est donc normal pour ces pays-là, l’Occident en l’occurrence, d’user d’une politique qui reflète leurs ambitions et leurs intérêts dans cette région.

Il convient de savoir que dans les pays arabes et je voudrais aussi ici inclure l’Iran (même si ce pays n’est pas considéré comme étant arabe) ont de tout temps eu des services de sécurité et de renseignement très influents et très puissants. Tous les dirigeants de ce monde arabe se sont dotés de structures sur lesquelles ils peuvent compter. Les dirigeants comme les services de renseignement et de sécurité vivent en osmose pour préserver leurs acquis à tous les niveaux, l’un ne pouvant pas vivre sans l’autre. Si le premier tombe, le second suivra de fait.

Une main mise sur l’ensemble de l’économie par ces mêmes responsables ainsi que leurs proches et leur entourage. Ce qui par conséquent a jugulé et étouffé la population, et l’a mise au pas. C’est par ailleurs la conséquence directe d’une forte immigration de la population active de la majeure partie des pays arabes vers l’Europe, les Amériques, l’Occident en général, car cette jeunesse refusant de se plier à leurs dirigeants faute d’un avenir viable.

À cela, un mur de peur qu’ont érigé les dirigeants arabes et leurs sbires pour éviter toute velléité populaire. Cette peur se traduisant le plus souvent par des emprisonnements arbitraires, par des disparitions, ou des menaces sur les membres de leurs familles, ou par un assassinat pur et simple. La déportation ou l’exil forcé étant le plus doux des remèdes et qui parfois peut durer des décennies.

Tous ces régimes reçoivent en général un support inconditionnel de la part des démocraties occidentales afin que les intérêts des uns et des autres soient sauvegardés pour les raisons suivantes :

  1. Économiques (pétrole, armement, produits manufacturés de qualité)
  2. Stratégiques, principalement supporter la politique israélienne et assurer sa sécurité par tous les moyens.
  3. Idéologique et religieuse peur que les islamistes prennent le pouvoir ce qui prouve par ailleurs la fausse vision du monde occidental vis-à-vis du monde arabe.

On devra dès lors aujourd’hui imaginer ce qui pourra se passer dans le futur dans le cas où une future « révolution » portera ses fruits, atteindra ces objectifs.

Au niveau interne :

  • Des élections démocratiques pour un nouveau parlement
  • Élection d’un nouveau président
  • Restructuration de l’économie.
  • Lutte contre la corruption.
  • Politique sociale et médicale.
  • Une politique d’investissement afin de créer de nouveaux emplois

Au niveau international :

  • Revue de certains accords internationaux
  • Revue de sa politique avec Israël
  • Défense des droits des Palestiniens et relance d’une paix juste avec Israël.
  • Unification de la politique arabe et mise en place d’un système politique revue dans toute la région
  • Rôle plus important des pays arabes dans la politique internationale mondiale.

Pour le monde occidental, aujourd’hui de par sa politique de protection inconditionnelle de ces régimes mène une politique de protection à outrance à des régimes corrompus et cela sans jamais tenir compte d’aucun appel souvent répété par une population exsangue, humiliée, sans aucun avenir dans leur pays.

Ce monde occidental qui a toujours tenu le discours d’une volonté affichée de promouvoir la démocratie n’a en fait jamais le geste, ni apporter un quelconque support à une population qui ne recherche en fait que ce que l’Occident prône à longueur de journée : la démocratie.

Aujourd’hui ce monde occidental, ne fait que protéger à tout prix, ses acquis du passé et ne recherche en aucun cas un changement qui pourrait lui faire perdre ses intérêts dans la région, tels que :

  • Les acquis accumulés pendant des décennies.
  • Qu’on le lui demande, de rendre des comptes sur le rôle effectif qu’il a joué auprès de ces gouvernements corrompus.
  • Que la sécurité de la région soit remise en cause. Que cette sécurité ne soit plus entre leurs mains par conséquent, les ventes d’armes par exemple risquent de chuter. Des centaines de milliards dépensés chaque année, qui font que les usines de la mort tournent à plein régime. Rien que l’Arabie Saoudite a dépensé ces 5 dernières années plus de 600 milliards de dollars dans sa guerre avec le Yémen.
  • Que la politique du changement qui souffle ou a soufflé dans la région remette les accords bilatéraux en cause et qu’ils soient revus et rediscutés afin qu’ils soient plus justes et équitables pour les peuples de la région. Ces accords toucheraient fort les problèmes de la main mise d’Israël, dans la région.
  • Que la sécurité d’Israël soit remise en cause, que l’on mette sur le banc des accusés ce pays pour les exactions qu’il a commis durant des décennies et donc du coup une remise en cause de la politique du monde occidental.
  • Peur que ces mouvements arabes ne déstabilisent les préétablis.
  • Peur que le monde arabe nouveau ne devienne une puissance économique réelle, se basant sur ses ressources et ses moyens propres.
  • Peur que cette région devienne un pôle incontournable dans la politique de demain avec une réelle force de persuasion régionale et internationale.
  • Peur que cette région fasse ombrage à la leur, car celle-ci a les moyens de le mettre en application.

Il semblait que cette région qui s’était mobilisée pendant un temps, elle a manifesté, a appelé à des changements. Était-elle prête réellement à faire des sacrifices pour arriver enfin à ce que ce monde arabe tienne sa place au sein de la communauté internationale ? Si cet objectif n’a pas été atteint, c’est que les sacrifices consentis n’étaient pas à la hauteur de l’évènement et par conséquent on est reparti pour des années encore plus sombres que les précédentes avant qu’un quelconque changement notoire ne prenne place dans une région qui en a tant besoin.

Un tel mouvement ne pourra refaire surface avant de nombreuses années, une telle chance, une telle occasion de se mettre debout et de se battre pour ses aspirations et son idéal.

À ceux qui étaient dans les rues, à ceux qui ont élevé leur voix contre le joug et le totalitarisme, aujourd’hui nos objectifs n’ont pas été atteints et c’est notre réalité.

Ces mouvements de protestation ont failli réussir le changement pour lequel ils se sont soulevés. Mais elles ont été bafouées, humiliées, spoliées pas seulement par leurs propres dirigeants, mais aussi par tous ces pays qui disaient représenter la démocratie dans le monde. La révolution « le Printemps arabe » telle que l’a appelé l’Occident, cette révolution n’a existé que le temps de quelques semaines et a disparu comme par enchantement. Laissant derrière elle et jusqu’à ce jour un chaos généralisé dans la presque totalité des pays arabes.

On ne peut systématiquement pas défendre la sécurité d’un seul pays qui en réalité applique lui-même, la politique de la peur. On ne peut pas systématiquement voler les richesses de la région, sans qu’un jour on se doive de rendre des comptes. C’est la responsabilité du peuple arabe de définir ce qu’il veut et ce qu’il ne veut pas, non pas aux autres qui se trouvent à des milliers de kilomètres d’imposer leurs visions. On ne peut systématiquement ouvrir des guerres par ci ou par là pour faire oublier la responsabilité de cette population.

Il est donc, de la responsabilité de la population arabe de se soulever, en proposant ses aspirations de façon intelligible, de lutter pacifiquement pour arriver à atteindre les objectifs clairement énoncés. Il est primordial que ces soulèvements ne doivent en aucun cas être soutenus de quelque façon que ce soit par des puissances étrangères, car ils seront de fait, dépossédés de leur contenu et de leur vision. La contestation arabe se doit d’être volontaire, et là où il y a une volonté, on trouvera sûrement le chemin qui mènera à se défaire de ces chaines qui les maintiennent jusqu’à ce jour dans cet esclavage éhonté.

On peut vivre sous le joug d’une occupation pendant des années, mais le jour où la population arabe se réveillera, le jour où elle s’organisera, le jour où elle demandera des comptes. Ce jour-là, il y a un risque d’explosion généralisée, que peu de gens auront vu venir, ce jour-là le changement pourra s’opérer, mais peut-être pas de la façon qu’on l’a voulu.

En attendant ce jour, la population arabe aujourd’hui n’est que la digne représentante des responsables corrompus qui la guide. Les dirigeants arabes d’aujourd’hui ne sont que le reflet de cette population arabe, elle est, elle aussi, aussi corrompue que ses représentants.

Tarek Daher

ISSN 2564-1689 Réseau HEM