LE BILAN DE L’ANNÉE JUDICIAIRE par Heidi FORTUNÉ

LE BILAN DE L’ANNÉE JUDICIAIRE par Heidi FORTUNÉ Magistrat, Juge d’instruction Cap-Haïtien, Haïti – L’année judiciaire qui se termine au moment où nous écrivons ces lignes n’a pas été vraiment riche en réalisation. Le bilan est plutôt mitigé. Mise à part la ratification par le parlement de deux des trois projets de lois relatifs à la réforme et quelques rencontres de sensibilisation au palais national, rien de concret n’a été fait.Tout au contraire, certaines indécences politiques sont venues affaiblir davantage le système. Quelques magistrats ont fermé la porte derrière eux… et la disparition tragique du président de la cour d’appel des Gonaïves, Me Hugues Saint-Pierre, dans des conditions troublantes, a été reçue comme un coup de massue au sein de la magistrature haïtienne. Pour finir, le phénomène des prisons, au moment où la police fait de son mieux pour mettre hors d’état de nuire certains gros bandits, suscite de nombreuses inquiétudes de la part des organisations des droits humains et de la société civile. 2007 fut donc une année, à la fois, triste et tiède pour la justice. Les problèmes restent les mêmes et sont nombreux.

Nous écrivions, il y a quelques mois, que les perspectives de la réforme restaient peu attrayantes à beaucoup de point de vue et la réalité n’a malheureusement pas démenti le pessimisme dont nous faisions preuve.

Notre justice va mal non pas parce qu’elle ne dispose pas de moyens mais bien plus parce que les moyens qui lui sont dévolus sont excessivement mal pensés ou incomplets.
A l’image de bien d’autres activités d’intérêt général, la justice haïtienne souffre du manque de volonté et de cohérence des décisions politiques. Elle est bien trop souvent l’objet d’enjeu et de positionnement idéologique alors même qu’elle devait tout simplement être prise pour ce qu’elle est, à savoir, un service public régalien consacré par la constitution. La perte de confiance du justiciable en la justice induit une crise d’identité et de légitimité d’autant plus grave qu’il s’agit de l’institution suprême, de l’ultime recours contre l’injustice.

Avec un budget ridicule, lamentable, honteux, indigne… peut-on espérer grand-chose des acteurs judiciaires ? Les Magistrats ne sont pas confortables dans l’exercice de leur profession, et ceci, à tout point de vue. C’est pourquoi bon nombre d’entre eux, excellents professionnels d’une rare qualité intellectuelle ont abandonné car non seulement le salaire n’est valorisant pour des journées entières d’instruction mais aussi les conditions de travail ne font pas honneur à leur statut.

Tout le monde est d’accord pour la modernisation de la justice mais cependant cela n’a pas l’air d’être une priorité politique. L’État préfère investir l’argent des contribuables ailleurs, ce qui nous semble complètement démentiel et irraisonné. Il faut le dire, certains signaux illustrent la volonté de maintenir la justice parmi les priorités gouvernementales. Cependant, en notre qualité de praticien, et malgré certaines déclarations rassurantes, nous disons que la réforme judiciaire n’est pas pour demain.Nous serons encore là à l’ouverture de la nouvelle année judiciaire 2007-2008 pour scruter le paysage juridique, observer la vie dans les cours et tribunaux, dénoncer les irrégularités et y donner le plus large écho. Nous critiquons tous ceux qui utilisent le dysfonctionnement et la faiblesse de la justice à des fins mercantiles, qu’ils soient juges mafieux, politiciens véreux, responsables de droits humains intéressés, organisations non gouvernementales (ONG) bidons ou autres…

Nous envoyons une pensée spéciale à toutes celles et à tous ceux qui militent véritablement en faveur d’un nouveau système judiciaire. Nous pensons à la difficulté de leur tâche et au poids de leurs responsabilités.Une autre justice est possible, il suffit tout simplement d’avoir un peu de volonté politique agrémentée d’une bonne organisation de traitement et de recruter à cette fin un personnel qualifié. DocHaît/12 août 2007


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