UCREF, MAGISTRATURE ET CORRUPTION par Heidi Fortuné

UCREF, MAGISTRATURE ET CORRUPTION

  • par Heidi FORTUNÉ Magistrat
  • Juge d’Instruction Cap-Haïtien, Haïti

Le code d’instruction criminelle haïtien traite essentiellement des pouvoirs des divers acteurs de la chaîne pénale, et de la procédure devant les tribunaux pour sanctionner les infractions et indemniser les victimes. L’attribution d’une prime forfaitaire par l’Unité Centrale de Renseignements Financiers (UCREF) à certains magistrats de Port-au-Prince ne repose sur aucune justification ni aucune disposition légale. Une telle situation constitue évidemment une forme de corruption de nature à autoriser des pressions directes de cette institution sur l’activité juridictionnelle de ces magistrats. En outre, elle expose les agents concernés à un traitement inégalitaire par rapport aux autres magistrats de la république, particulièrement ceux de la province.

Avec ce nouveau scandale, la justice vient de perdre sa sacralité et le peu qui lui restait de sa crédibilité. Il y a quelque chose de très déroutant dans cette affaire. Cette triste illustration marque, en effet, une dérive sans précédent dans l’organisation judiciaire en Haïti. L’émotion est trop grande. Le pire : des magistrats que l’on croyait au-dessus de tout soupçon y sont mêlés.

Ah ! « L’argent brise les pierres ».

D’après une feuille de paie rendue publique et qui concerne le mois de juillet 2007, il s’agit de primes accordées dans le cadre d’un Projet de Constitution d’une Chaîne Pénale et d’Aide ponctuelle au renforcement de certaines institutions luttant contre la drogue, le blanchiment et la corruption. Il importe de se questionner sur la légalité de la constitution de cette cellule dorée.

Parlant de chaîne pénale, que viennent chercher des chauffeurs, des secrétaires, des greffiers et des huissiers dans tout cela ? L’on se doit aussi de se demander : d’où proviennent les fonds utilisés par l’UCREF pour primer ces privilégiés ? Est-ce du trésor public ou s’agit-il tout simplement de fonds séquestrés dans le cadre de ses activités ?

On dira ce qu’on voudra mais ce mode de procéder de l’UCREF est mené de façon cavalière, sans aucune concertation ; ce qui dénote une sorte de clientélisme, de copinage et de favoritisme… des termes intimement liés à la corruption. En plus, cette approche est susceptible de porter atteinte à l’indépendance des juges.

En France par exemple, il existe des « primes au mérite » pour les magistrats mais elles se donnent en vertu d’un décret relatif au régime indemnitaire des magistrats de l’ordre judiciaire, en fonction de la contribution du  magistrat au bon fonctionnement de la justice. Ces sommes accordées à titre d’encouragement s’octroient annuellement et se comptabilisent en pourcentages clairement définis. Pour cela, toute une gamme de mesures de contrôle et d’inspection est mise en place pour éviter toute discrimination ou magouille.

Tel n’est pas le cas ici, eu égard aux montants perçus mensuellement par les magistrats impliqués dans cette sale combine. Notre système judiciaire est malade à tout point de vue, et nous estimons que sa mise à plat est nécessaire. Même quand cela va choquer, nous pensons également qu’il faut questionner l’intégrité de ces magistrats dont nous déplorons la conduite.

Nous désavouons publiquement cette pratique de l’UCREF qui met en péril, non seulement, l’indépendance de la magistrature mais également l’avenir du pays tout entier. Si, en tant qu’institution légalement prévue par la loi, sa mission consiste à enquêter sur des cas de malversation, de gabegie administrative et de blanchiment d’argent provenant du trafic illicite de la drogue et autres infractions graves, en étroite collaboration avec la justice, cela ne sous-entend nullement qu’elle peut soudoyer voire corrompre les divers acteurs de la chaîne pénale qui lui apportent leur concours. Ce faisant, elle outrepasse ses limites, brise sa sphère de compétence, va au-delà de son champ d’action et viole la loi. Les auteurs et complices de cette infamie devront tirer les conséquences qui en découlent.

Un État de Droit, une vraie Démocratie doit répondre par l’action publique des crimes de Magistrats. DocHaiti & International/30-09-07


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